Les champs amoureux
J’avançais dans les travées du théâtre et m’installais sur la seconde chaise de la troisième rangée, celle précisément où tous les élèves étaient assis. C’est là que m’apparu plus distinctement cette silhouette entrevue quelque minutes plus tôt, silhouette longue et mince, presque tout de rouge vêtue et qui pourtant semblait curieusement effacée. Elle progressait vers la scène d’un pas mal assuré, appelée comme nous le seront tous à faire un exercice d’improvisation devant le petit auditoire que nous formions. C’est alors par surprise que je fus littéralement transpercé par cette émotion vive, presque incendiaire, car je me mentirais si je ne reconnaissais pas que de cette frêle figure se dégageait une aura troublante. Aura que je n’imaginais pas alors faire le lit du coup de foudre qui se préparait. Je le sentais. Je mentirais aussi si je ne m’avouais pas qu’en ces instants je n’étais pas tout à fait sûr que ce qui m’attirait chez cette personne fût de nature exclusivement charnelle.
Non, vraiment, à bien y réfléchir. Je serais presque tenté de dire qu’il s’agissait alors d’une attirance d’une toute autre nature, et qu’approfondir la question ne m’apparaissait pas opportun. Du moins en ces instants précis. Je laissais venir et accueillais les premières effervescences de l’émotion dans un bonheur tranquille malgré l’exaltation qui guettait. Faut-il préciser qu’il y avait aussi comme une légère ambigüité émanant de sa personne, comme cette démarche, cette coupe de cheveux assez courte, ainsi que ce choix vestimentaire plutôt inspiré du vestiaire masculin. C’est vrai, à bien y regarder, il procédait aussi de sa prestation scénique quelque chose d’inexplicablement asexuée. Et après tout je me grisais peut-être du brouillage de mes sens, allez savoir. Je me persuadais surtout que le ravissement était décidément ailleurs.