La pensée light

 

L’époque veut une philosophie délestée de toute substance réflexive, une espèce de réduction en somme des idées, si j’osais je l’appellerais philosophie moléculaire ! Mais en réalité il s’agit d’avantage d’un produit voué à la consommation rapide ! Ces Un prêt à penser dit-on parfois. Une chose est sûre, cette philosophie-là ne vous nourrit jamais l’esprit. La question est de savoir si ce tropisme d’un nouvel avatar philosophique des temps modernes est une demande de la part des lecteurs, on peut sérieusement en douter, ou plus exactement le produit éditorial consommable et jetable par excellence des maisons d’édition, manufacturé plutôt qu’écrit et pensé par ses zélateurs, une espèce de pure miellat marketing imaginé par leurs thuriféraires, les éditeurs donc. A la décharge de tous ces acteurs, il faut reconnaître aussi que les temps sont à la dissipation, pour na pas dire à l’inconsistance idéologique, et puis allez, n’ayons pas peur des mots, à une tendance forte à l’abrutissement général. Bref, les lecteurs sont devenus des victimes consentantes, des proies faciles jetées en pâture à la voracité avide et mercantile des sacro-saints directeurs de collection, jamais en reste lorsqu’il s’agit de saisir l’occasion, fût-elle aussi médiocre. C’est sans doute pour cela qu’il y a d’impérieuses raisons d’appeler au discernement, en pure perte j’en conviens, les maisons édition de circonscrire ce carnage éditorial. Il s’agit surtout d’une question de salubrité publique, d’une forme de plaidoyer pour la cessation de la maltraitance de nos neurones.

 

Mais tout cela se fera en pure perte si nous ne poussons pas à l’exhortation le lecteur à ignorer, pour ne pas dire mépriser, cette littérature qui à force d’insipidité en est devenue tellement absconse. Usons de prophylaxie ingénieuse afin d’éradiquer ces « petits traités de vie intérieure », ces « bons usages du moi » et autres abécédaires du bonheur. Le combat sera dur, l’assainissement difficile. Il n’est pas complètement inutile aussi de prier André Comte-Sponville, Luc Ferry, Frédéric Lenoir, Frédéric Schiffter, Raphaël Einthoven et autres, comment dit-on déjà, philosophes, de participer à cet effort. Mais le comprendront-ils ? Nous pouvons profondément en douter. Qui, non content de nous déverser leurs essais philosophiques, estampillés « light 0% » d’acuité intelligente, s’épanchent en logorrhées bien-pensantes sur les ondes de France-Culture et dans les pages de Philosophie Magasine à longueur de temps. Des philosophes de service, plébiscités par le vacuum de la pensée générale, réussissant à nous enrager par le tour de force de se retrouver souvent en tête des « bêtes sellers » des ventes, comme disait l’autre. Michel Foucault avait écrit : « « L’épreuve décisive pour les philosophies de l’Antiquité, c’était leur capacité à produire des sages ; au Moyen Âge, à rationaliser le dogme ; à l’âge classique, à fonder la science ; à l’époque moderne, c’est leur aptitude à rendre raison des massacres. […] » En parlant de l’époque moderne, Foucault faisait bien sûr référence aux nouveaux philosophes, dont aucun de ceux cités plus haut ne peuvent se prévaloir. Donc, si j’osais poursuivre son énoncé, notre philosophie contemporaine elle, n’en porterait hélas plus que le nom. Nietszche estimait que depuis Socrate la philosophie était sur une mauvaise voie, on n’ose imaginer ce qu’il penserait de celle du 21ème siècle ?