Mikhaïl Boulgakov - Ecrits autobiographiques

Une vie de romancier et de dramaturge comme celle vécue par Mikhaïl Boulgakov à de quoi effrayer considérablement les vocations littéraires ! S’il y eu pléthore de parias dans le vaste empire soviétique, je dirais que les écrivains de tous poils ont été particulièrement gâtés par les humiliations, censures, perquisitions, expulsions et bien sûr les emprisonnements dans les sinistres goulags. Boulgakov, avec ses romans, nouvelles et pièces de théâtre nous éclairent abondement sur le combat de l’écrivain, nous démontrant le plus souvent sur le ton de la satire la condition de l’homme face au régime liberticide. Et si ses écrits nous bouleversent à ce point c’est qu’ils ne seront publiés qu’en 1973, c’est sa veuve qui poursuivra le combat et la quête de reconnaissance d’une œuvre magistrale. Mort en 40 d’épuisement, celui de ne pouvoir être lu et reconnu, à l’exception de l’adaptation théâtrale largement expurgée du roman La garde Blanche, devenue alors Les jours des Tourbine, il lui fallut pour vivre un peu de sa plume composé un temps avec les sbires de Staline pour avoir un emploi dans un théâtre de Moscou. Allant même jusqu’à écrire un moment comme journaliste dans un organe de presse dirigé par la femme de Lénine en personne, situation qui lui sera très vite insupportable, au point de prendre de nettes distances avec les nombreux intellectuels acquis au nouveau régime. On sent une rare humanité chez Boulgakov, elle émeut profondément. Autant les malheurs le dévoreront tout au long d’une existence d’écrivain, autant le lecteur que l’on est comprend immédiatement qu’il aime son pays éperdument, et ses peuples, au point même de nous transmettre cet étrange amour mêlé de crainte respectueuse pour le terrible hiver russe.

C’est alors en tant que diariste que ses premières publications paraissent, préfigurant déjà un style inimitable, mélangeant la satire, le comte et le roman. Epargné un temps par la presse et les littérateurs en vue, les premières dénonciations affleurent dans les feuilles du parti qui le traite de « bourgeois », de « blanc ». Les attaques ad hominem ne cesseront plus, elles naissent à tout propos, laminant l’auteur toujours d’avantage. Il décidera alors de faire passer ses idées en tant que dramaturge, espérant trouver dans le théâtre un allié plus subtil dans l'expression de sa pensée. Dès lors, Boulgakov ne cessera de dénoncer dans toute son œuvre, poignante et burlesque, une société rongée par un rationalisme absurde, un athéisme forcé et un abêtissement général. A coté des œuvres phares que sont Le Maître et Marguerite et La Garde blanche, il y a le présent volume retraçant son itinéraire en réunissant cinq de ses principaux textes autobiographiques. Morphine, publié en 1927, mais dont l’idée germa dès 1917, alors que l’écrivain était responsable du dispensaire d’un chef-lieu de canton, et qui relate le destin tragique d’un médecin devenu morphinomane.
Ecrits sur des manchettes est un faux journal intime. Le vrai, tenu de 1922 à 1925, lui avait été confisqué au cours d’une perquisition, Boulgakov croyait l’avoir détruit. C’était compter sans le zèle de la police qui avait gardé, par devers elle, une copie du Journal confisqué.
Tandis que Staline mettait en place ce qui allait devenir l’une des deux entreprises totalitaires du siècle, Boulgakov lui écrivit plusieurs lettres pour obtenir l’autorisation de partir à l’étranger. Ces Lettres à Staline lui valurent un coup de téléphone fameux de son destinataire dont le résultat fut de lui assurer pour un temps un emploi et quelques ressources. Une clémence surprenante, alors que le dictateur ne pouvait ignorer ses sentiments les plus intimes et son passé de médecin dans l’Armée blanche raconté dans Les Aventures extraordinaires d’un docteur.
De ses lettres au Petit père des peuples on trouve cette supplique effroyable et déchirante

[…Je vous supplie ardemment d'intercéder en ma faveur auprès du gouvernement de l'Union Soviétique afin de m'octroyer un congé à l'étranger, du 1er juillet au 1er octobre 1931. Je tiens à vous dire qu'au bout d'un an et demi de silence, une force de création incoercible à germé en moi de nouveaux projets, des projets vastes et forts, et je prie le gouvernement de me donner la possibilité de les réaliser. Je souffre depuis la fin 1929 d'une grave forme de neurasthénie, avec des accès d'angoisse, des crises d'angine de poitrine, on a fait de moi une sorte de mort vivant.
Des idées, des projets, j'en ai, mais de force physique, point, quand aux conditions que requièrent leurs réalisations, elles n'existent tout simplement pas. La raison de ma maladie est bien connue, et fort claire. Dans le vaste champ d'action qui s'ouvre aux écrivains de langue russe, j'étais le seul loup de la littérature. On m'a conseillé de me teindre le poil. Conseil inepte. Qu'un loup soit teint ou tondu, il ne ressemble pas à un caniche.
Et c'est bien en loup que l'on m'a traité. Plusieurs années durant j'ai été traqué dans un lieu clôt, selon les meilleures règles que les hommes de lettres ont inventés pour la chasse à l'homme. Je n'ai pas de haine au cœur, mais je suis très fatigué et, à la fin de 1929, je me suis effondré. Savez-vous que même les bêtes sauvages savent ce qu'est la fatigue. La bête sauvage à fait dire qu'elle avait cessée d'être un loup, d'être un homme de lettre.
Un écrivain qui se tait cela n'existe pas. S'il se tait ce n'est pas un véritable écrivain, voilà tout. Et si un véritable écrivain vient à se taire, il est condamné à périr…]