La femme chez Modigliani

Toute d’équilibre, cette composition reflète la beauté lisse de Hanka, imprégnée des têtes sculptées, des masques de l’art nègre découverts un jour au Musée de l’Homme, à Paris. Complètement fasciné par cet exotisme aux formes figuratives élémentaires, Modigliani se décide désormais à peindre ses modèles avec les yeux en amande, la bouche petite, le nez fin et long et un cou de cygne. Cet éblouissement est né du croissement de cet art premier et d’une soif  d’existence brute, indomptée et violente. De son Livourne natal Amadeo est venu à Paris appelé par son irrésistible incandescence, lui, l’écorché, il s’et engloutit dans ce Montmartre bohémien qui en avait déjà bien vu d’autres se noyer au Café des Deux Magots, ou s’éponger le gosier de mauvaise absinthe au Critérion. Dans l’ivresse, toutes les fées vertes se ressemblent.

 

 

Et puis l’effervescence des rencontres au Bateau-Lavoir, les Lautrec, Cézanne et Picasso, avec lesquels on repeint le monde. Vite surnommé « Modi », vendant ses toiles pour trois francs six sous, qui était toujours bien suffisants pour se laisser dévorer par l’alcool et les drogues. Alors, il devient vite le peintre maudit, le débauché de Montmartre. Sensuel, exerçant un magnétisme animal sur les femmes, il les collectionnera tout au long de sa courte existence, les révélant comme ses impétueuses muses. Leurs noms résonnent encore aujourd’hui par fort vent en passant devant le Moulin de la Galette, Anna, Béatrice, Victoria, Marguerite, Elvire, ou encore Lolotte et Renée. Et toujours dans leurs portraits ruissèle cette indéfinissable impression de mélancolie et de tristesse.

 

Avec cette grâce qui sublime Modigliani met à nu les corps et plus encore les âmes, il s’empare par magie de toute la sensibilité du modèle et nous l’offre éminemment belle et fragile. Une ultime inspiration, elle s’appelle Jeanne et vient d’avoir ses dix-huit ans, elle éveille tous ses sens. Jeanne encore, l’inspiratrice d’un souffle amoureux puissant. Petite et maigre pourtant. Que l'on appelait par le sobriquet de « Haricot rouge », dû aux lueurs rougeoyantes qu’irisaient ses jolis cheveux châtains coiffés souvent en haut chignon. Douce Jeanne, étudiante à l’académie de dessin, apparaissant soumisse et délicate dans ses poses languides. La vie du peintre et de sa dernière muse se compose en trois courts étés ondoyants pour l’éternité. Maudite vie, puisque c’était écrit, Jeanne ne pouvant survivre à la fin tragique de son « Modi », m’y fin à ses jours le lendemain.